Dans 90% des CRM, la première colonne après le nom de l’entreprise affiche son effectif ou son chiffre d’affaires. Cette segmentation par taille structure l’organisation commerciale, guide l’allocation des ressources et influence même les grilles tarifaires. Logique, simple, intuitive.
Pourtant, cette approche peut créer des angles morts : la startup de 15 salariés qui signe plus vite que le groupe de 4 000 personnes, la PME spécialisée qui investit massivement quand l’industriel temporise, ou encore la scale-up qui accepte de payer le prix fort là où le grand compte négocie âprement.
Oui, la taille est un critère pertinent, mais elle n’est pas toujours suffisante. Dans un environnement B2B bouleversé par l’IA et la géopolitique, où les cycles de décision se raccourcissent pour certains et s’allongent pour d’autres, et où les budgets se déplacent vers de nouveaux postes, la segmentation par la taille montre ses limites. Comment enrichir cette grille de lecture sans tout remettre à plat ?
La segmentation par taille : une affaire de bon sens… à quelques exceptions
La taille de l’entreprise, appréciée par le chiffre d’affaires et/ou le nombre de salariés, est probablement le critère de segmentation le plus utilisé dans le B2B. Il faut dire qu’il présente plusieurs avantages opérationnels, dans la mesure où il permet :
- De structurer rapidement une base client ;
- De répartir les comptes entre commerciaux en fonction de leur séniorité ;
- De définir des offres ou des grilles tarifaires en fonction de la capacité d’achat supposée ;
- D’aligner les cibles avec certains canaux (petites entreprises en Inbound, grands comptes en prospection directe et ABM, etc.).
Cette logique a été largement confortée dans les CRM, les bases de données, les outils d’enrichissement (Sales Navigator, Clearbit, Kompass…) et les dashboards de reporting. Elle est simple à mettre en œuvre, intuitive pour toutes les équipes et souvent compatible avec les objectifs de chiffre d’affaires :
- On affecte les grands comptes aux commerciaux les plus expérimentés ;
- On réserve les campagnes de base aux PME ;
- On projette les revenus à partir du nombre de comptes et de leur taille moyenne.
Dans certains cas, cette segmentation reste pertinente. Par exemple, pour un éditeur qui vend un logiciel de paie, il est logique de proposer des forfaits en fonction du nombre de salariés, ou encore pour une solution de fleet management, où le volume du parc véhicule dépend fortement de la taille de la structure.
Mais ces cas ne représentent pas forcément une norme absolue. Dans bon nombre d’offres B2B, le comportement d’achat, la structure décisionnelle, l’urgence du besoin et la maturité technologique (le cas échéant) pèsent bien plus que la taille.
Les pièges de la segmentation par taille : quand David achète plus que Goliath
Si la segmentation par taille permet d’ « aller vite », elle peut aussi créer des angles morts et brider le potentiel de votre force de vente. Voici 5 cas très courants.
#1 Le paradoxe de l’agilité décisionnelle
Une startup de 20 salariés qui vient de lever 5 millions d’euros peut décider et déployer une solution SaaS en 3 semaines, là où un groupe de 4 000 salariés mettra 18 mois pour le même processus.
Résultat : la PME génère un chiffre d’affaires plus rapide pour son fournisseur, parfois même plus élevé (effet volume sur la durée). Les équipes commerciales qui négligent ces « petits » comptes (par la taille) peuvent passer à côté de deals à forte vélocité.
#2 L’effet « champion interne » vs. bureaucratie
Dans une grande structure, un achat de 50K€ peut stagner pendant 8 mois dans les méandres du processus d’approbation en passant de service en service, sans sponsor exécutif fort. À l’inverse, une ETI de 150 personnes avec un dirigeant directement impliqué dans les décisions tech pourra signer le contrat en 4 réunions.
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En réalité, la taille de l’entreprise est même souvent inversement proportionnelle à la concentration du pouvoir décisionnel. Dans les grandes organisations, vous devez souvent convaincre au moins 6 interlocuteurs dans un comité d’achat, chacun avec son propre agenda et ses propres critères (avec en plus des rapports de force et un jeu politique). Dans une structure plus petite, vous traitez directement avec le décideur économique qui a une vision globale des enjeux.💡 À savoir Cette dynamique est particulièrement vraie dans les secteurs où la transformation digitale est pilotée par la direction générale plutôt que par la DSI : le CEO d’une PME en croissance aura tendance à prendre des décisions plus rapidement qu’un middle management de grand groupe qui doit justifier chaque euro dépensé.
#3 Le secteur d’activité prime sur la taille
La structure des coûts et les priorités d’investissement diffèrent sensiblement d’un secteur à l’autre, indépendamment de la taille. Une entreprise de services privilégiera les investissements qui augmentent la productivité de ses équipes, tandis qu’une entreprise industrielle se concentrera davantage sur l’optimisation de ses processus de production et ses équipements.
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Ainsi, deux entreprises de même taille peuvent avoir des capacités et des appétits d’achat différents selon leur secteur, car leur business model ne repose pas sur les mêmes leviers de croissance.
Dans les services à forte valeur ajoutée, la rentabilité par collaborateur est généralement plus élevée, ce qui peut justifier des investissements plus importants par tête pour maintenir la compétitivité. Dans l’industrie, la performance passe souvent par l’optimisation des volumes et l’efficacité opérationnelle.💡 À savoir Avant de qualifier un prospect, creusez les enjeux économiques typiques de son secteur : quels sont ses principaux postes de coûts ? Ses facteurs clés de succès ? Cette grille de lecture sectorielle vous donnera souvent une meilleure estimation du potentiel que la seule taille de l’entreprise.
#4 L’erreur du prix adossé à la taille
Beaucoup d’entreprises calibrent automatiquement leurs tarifs sur la taille supposée du client, ce qui crée un manque à gagner. Cette logique part d’un présupposé : « une PME ne peut pas payer autant qu’un grand groupe »… ce qui n’est pas toujours vrai.
Une scale-up en hypercroissance acceptera souvent de payer le prix fort pour une solution qui accélère son développement, car elle raisonne en termes de retour sur investissement et d’opportunité manquée. Elle préfère investir maintenant pour éviter les problèmes de scaling plus tard.
À l’inverse, un grand groupe qui dispose de budgets importants négociera âprement chaque euro, car ses processus d’achat sont souvent rigides et orientés vers l’optimisation des coûts plutôt que vers la maximisation de la valeur.💡 À savoir La capacité de paiement dépend davantage de la santé financière, de la phase de croissance et des priorités stratégiques que de la taille brute. Une belle PME en forte croissance peut parfois payer davantage qu’un grand groupe.
Enrichir sa segmentation sans tout reconstruire : une approche hybride et progressive
Remettre en question la segmentation par taille ne signifie pas qu’il faille repartir de zéro. Elle peut rester une première couche de structuration, à condition d’y ajouter des critères plus discriminants pour affiner l’allocation des ressources commerciales.
L’idée est d’intégrer des variables complémentaires dans l’analyse des comptes en s’appuyant sur des données déjà disponibles dans le CRM, les échanges commerciaux et les outils d’automatisation. Par exemple :
- Le niveau d’urgence perçu (détecté via les formulaires, les relances ou les interactions) ;
- La complexité du cycle de décision (nombre d’interlocuteurs identifiés, durée moyenne des phases) ;
- L’existence d’un sponsor fort (décideur impliqué ou non dès les premiers échanges) ;
- L’indice d’appétence technologique ou d’ouverture au changement (type de stack existant, présence sur des salons, engagement sur des contenus experts, etc.).
Ce type d’indicateurs ne nécessite pas une refonte de la segmentation, mais un enrichissement progressif, parfois même sans investissement supplémentaire : un simple système de tags, de scoring ou de qualification commerciale avancée suffit à mieux prioriser les comptes à fort potentiel réel.
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Les équipes les plus matures combinent une approche hiérarchique (taille, secteur, zone) avec une lecture comportementale ou contextuelle. Cette double lecture permet d’éviter deux problèmes :
- sous-exploiter un compte atypique classé trop bas dans la hiérarchie ;
- surestimer un grand compte peu réceptif, voire fermé à la solution.