Impactée par la digitalisation effrénée du business, par la pénurie des talents et par les évolutions sociétales, la pratique des Sales est sortie de son conservatisme historique lors des 10 dernières années. Pour en discuter, j’ai eu le plaisir de m’entretenir avec Romain Zacaï, Directeur des divisions « Commercial », « Digital, Marketing & Communication » et « Retail » chez Page Personnel.
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Pouvez-vous revenir en quelques mots sur votre parcours professionnel ?
Bien sûr. J’ai fait un Bac S, une classe préparatoire puis un Master en Grande Ecole de Commerce. J’ai parallèlement enchaîné les stages dans la vente, notamment chez Lenovo et Coca Cola. Je suis donc un pur produit Sales !
J’ai vécu ma toute première expérience commerciale en CDI chez Page Group que j’ai rejoint en 2010 en tant que Consultant – Business Developer dans la filiale Page Personnel. J’ai ensuite occupé les postes de Manager Exécutif et de Practice Manager avant d’être nommé Directeur des divisions « Commercial », « Digital Marketing & Communication » et « Distribution & Commerce ».
On estime qu’il manque aujourd’hui 200 000 commerciaux en France. Comment expliquez-vous cette pénurie qui devient structurelle ?
Effectivement, il manque aujourd’hui entre 100 000 et 200 000 profils commerciaux en France. Il en manquait déjà avant la Covid-19, mais la pandémie a rebattu les cartes. Les entreprises ont dû rattraper leur retard après la parenthèse pandémique, ce qui n’a fait qu’accentuer leur besoin en ressources commerciales. L’augmentation exponentielle des offres d’emploi dans les Sales s’accompagne forcément d’une hausse des exigences des candidats.
On peut également expliquer cette pénurie par une baisse de l’attractivité des métiers de la vente auprès des jeunes au profit du marketing, du monde de la finance, des métiers des cabinets de conseil, etc. Les écoles de commerce ne forment pas forcément des commerciaux purs et durs. Il faut peut-être faire le marketing des métiers de la vente pour qu’ils puissent séduire à nouveau.
D’un autre côté, il faut rappeler que les porteurs de projet qui se lancent dans l’aventure entrepreneuriale doivent se mettre à la vente pour faire décoller leur startup. Les Sales permettent également de belles évolutions de carrière. On voit aujourd’hui de plus en plus de profils commerciaux arriver à des postes dans la Direction Générale dans les grands groupes, ce qui n’était pas forcément le cas avant.
Au-delà de la rémunération, que peuvent faire les entreprises pour attirer les talents commerciaux et les fidéliser ?
La rémunération reste bien entendu un élément clé pour attirer et fidéliser, mais elle n’est pas la seule. On se rend compte que le bien-être en entreprise a pris beaucoup d’ampleur, notamment après la pandémie.
Aussi, l’émergence assez soudaine de la vente à distance a accentué cette attente de flexibilité du lieu de travail chez les commerciaux. Aujourd’hui, on imagine mal un commercial faisant de la vente à distance être démarché par une entreprise qui ne propose pas cette option. On parle aussi de formation et d’accompagnement, à fortiori lorsque les profils n’ont pas forcément un parcours purement commercial. Il y a également le levier des BSPCE (instruments permettant au salarié de souscrire ultérieurement des actions de la société à un prix préalablement convenu, ndlr).
Quels sont, selon vous, les trois facteurs majeurs qui ont bouleversé la pratique des Sales lors des 10 dernières années ?
La digitalisation de la vente a permis aux commerciaux de rencontrer jusqu’à cinq prospects ou clients dans la journée. Quand vous êtes commercial terrain à Paris, la moyenne se situe plutôt à un rendez-vous le matin, puis un autre l’après-midi. La vente à distance a donc profité à la productivité des commerciaux.
Ensuite, les clients sont de plus en plus informés, de mieux en mieux sensibilisés. La disponibilité des contenus leur permet de maîtriser leur sujet. Par conséquent, le commercial ne vend plus tout seul. Il est amené à collaborer avec d’autres profils spécialisés dans des briques de vente. Le client hyperinformé attend du commercial une expérience, de l’émotion et un lien de confiance.
La dernière décennie a également vu le rapprochement entre le marketing et les équipes commerciales. On a assisté à une levée progressive des silos à la faveur d’un alignement. On voit de moins en moins de commerciaux qui ne font que de la prospection en Cold Calling. Le marketing alimente le commercial en leads pour lui permettre de faire ce qu’il sait faire de mieux : le relationnel, l’échange, l’écoute, la recherche de solutions pour répondre à un besoin, etc. D’ailleurs, le Directeur Commercial devient progressivement le Directeur Commercial et Marketing.
Comment voyez-vous l’évolution du Directeur Commercial dans la dernière décennie ?
Si je me fie à ma propre expérience, je dirais que le Directeur Commercial des années 2010 était plus focalisé sur les KPIs du quotidien avec une gestion des affaires courantes. Je pense aussi qu’il avait un management un peu plus intransigeant.
Aujourd’hui, le Directeur Commercial doit mettre beaucoup plus d’émotion dans la gestion des équipes. Il doit inspirer confiance, faire en sorte de donner du sens au travail des commerciaux et choisir ses mots pour faire passer son message. Les profils étant de plus en plus difficiles à trouver, il faut en effet garder un mindset de fidélisation. On sait qui on a aujourd’hui, mais on ne sait pas qui on pourra avoir demain. Je dirais aussi que l’approche du Directeur Commercial est aujourd’hui beaucoup plus personnalisée en fonction des profils qui composent son équipe.
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Quid des équipes Sales ? Comment ont-elles évolué lors des dix dernières années ?
Je pense que les équipes Sales ont dû s’adapter à la spécialisation des briques de la vente. Les entreprises ne se contentent plus d’un seul profil pour acquérir des clients. Vous avez le SDR, l’Inside Sales, le Business Developer, l’Account Executive, l’Account Manager, le CSM, etc. L’acte de vente a donc été compartimenté tout au long de la dernière décennie pour mieux s’aligner avec les nouvelles exigences des acheteurs.
Quelles sont les compétences qui qualifieront les meilleurs commerciaux dans les 10 prochaines années ?
La Data est un point clé dans cette évolution globale des métiers des Sales. Nous sommes désormais en mesure d’arriver à un niveau de détail assez impressionnant, ce qui permet aux commerciaux de mieux adapter leur approche. Je pense toutefois que l’émotion restera le facteur clé pour faire du business. On peut mettre toute la technologie que l’on souhaite, c’est toujours l’intelligence émotionnelle face au client qui fera la différence. Il faut du savoir, du savoir-faire et du savoir-être pour tirer son épingle du jeu.
Je pense également que le Social Selling va définitivement intégrer la boîte à outils du commercial dans les prochaines années. Nous devrions également assister à l’émergence d’outils de vente à distance plus poussés que Zoom et Teams par exemple. Les commerciaux sont attendus sur ce point-là également. Je dirais enfin que les commerciaux feront beaucoup moins d’administratif pour aller plus loin dans l’accompagnement personnalisé de leurs clients. L’engouement autour du Sales Enablement illustre bien ce constat.
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