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La méthode Pre-Mortem, ou comment débarrasser la prise de décision des biais cognitifs

En entreprise, la prise de décision s’appuie généralement sur trois éléments : une analyse documentée, un alignement progressif entre parties prenantes et une trajectoire validée en comité.
Mais dans ce processus, il y a très souvent une déformation : le raisonnement se verrouille à coup de biais cognitifs.

On prend les hypothèses qui « plaisent » pour des vérités, on évacue certaines objections dérangeantes, on ne se prête pas au jeu des scénarios alternatifs… pour une seule raison : ils ne correspondent plus au cadre mental dans lequel la décision est en train de se construire.

C’est ce que produisent les biais cognitifs : un filtre en amont du raisonnement, qui détermine tout ce qui suit. Une fois ce verrou cognitif en place, la suite est cohérente, argumentée, collective… mais construite sur une base plus ou moins bancale.

Comment débarrasser la prise de décision du biais d’optimisme, de confirmation ou encore de l’ « effet Ikea » ? En branchant un protocole de cadrage : le Pre-Mortem.

#1 Comment s’exprime le biais cognitif chez le dirigeant ?

Le biais cognitif est une déformation systématique dans le traitement d’une information, qui intervient avant même que le raisonnement ne commence formellement. Il ne faut pas le confondre avec un oubli, un raccourci volontaire ou une forme de manipulation malhonnête. C’est plutôt un processus automatique par lequel le cerveau va modifier la valeur accordée à un signal : sa fiabilité, sa pertinence ou même sa présence.

Ce mécanisme intervient dans toutes les tâches qui nécessitent un tri ou une pondération… deux exercices qui constituent l’essence même du rôle du dirigeant et du manager. Et les biais sont d’autant plus actifs lorsque la situation comporte une urgence et/ou une surcharge de variables.

Prenons un exemple : un dirigeant reçoit un reporting hebdomadaire avec six indicateurs clés. Quatre sont dans le vert, deux dans le rouge. Le cerveau ne traite pas les six signaux avec la même importance :

  • Les indicateurs « verts » activent un schéma mental de continuité ou de conformité au plan. Ils s’intègrent dans le narratif sans créer de tension cognitive ;
  • Les deux alertes, en revanche, nécessitent une rupture de cadre : relecture du plan d’action, projection des impacts, éventuelle confrontation avec les équipes concernées, etc.

Le cerveau tend à minimiser la portée de ces signaux perturbateurs. Il les relie à des causes déjà identifiées, les qualifie d’exceptionnels, ou les associe à une variabilité normale. Ce filtrage s’opère dans la perception même du problème. Le dirigeant peut donc formuler un raisonnement solide, aligné avec les faits… mais construit sur un tri involontairement biaisé des faits, effectué en amont.

💡 Ce qu’il faut retenir
Le biais n’est pas une rupture logique. C’est une altération des conditions d’entrée du raisonnement. C’est une déviation de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité. C’est d’ailleurs pour cette raison que les institutions scientifiques organisent des sessions de relectures entre pairs, des revues systématiques d’études, voire des conférences de consensus.

Les 5 biais cognitifs les plus fréquents chez les décideurs

Certains biais cognitifs sont structurellement renforcés par la position hiérarchique. Ils sont parfois perçus comme un défaut de compétence ou un excès d’égo… alors qu’ils sont, en réalité, liés à la manière dont le pouvoir de décision s’exerce dans des environnements à forte pression temporelle, politique et/ou opérationnelle.

Voici les 7 biais les plus évidents dans les métiers qui nécessitent de l’analyse et des arbitrages, en particulier dans les instances de direction.

1. Le biais de confirmation

C’est le plus courant, mais aussi le plus difficile à détecter. Il consiste à accorder plus de poids aux informations qui confirment une hypothèse déjà établie, et à sous-estimer, ignorer ou disqualifier celles qui la remettent en cause.

Exemple : une décision suscite l’engouement en interne. Les données qui la renforcent sont jugées « solides », tandis que les contre-indications ou données défavorables sont interprétées comme marginales, biaisées ou conjoncturelles.

2. Le biais d’ancrage

Le cerveau est influencé de manière disproportionnée par la première estimation ou information disponible, même si elle est incomplète, obsolète ou posée à titre purement indicatif.

Exemple : lors d’une réunion budgétaire, un directeur commercial lance l’idée d’un objectif de croissance à 15 %, « juste pour donner un ordre de grandeur ». Un chiffre bien rond, mais sans aucune justification marché. Toute la discussion s’aligne ensuite sur cette valeur : 12 % est jugé prudent, 17 % ambitieux, 8 % comme « une contre-performance ». Le chiffre évoqué en premier est arbitraire, mais il devient l’ancre cognitive autour de laquelle tout le raisonnement se construit.

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3. Le biais d’optimisme

Ce biais pousse à sous-estimer la probabilité d’un échec, ou à surestimer la capacité de l’organisation à réagir. Il est renforcé par la proximité entre le décideur et l’équipe projet, ou par la volonté de tenir une trajectoire politique ou financière.

Exemple : un comité valide le lancement d’un nouveau service, alors que l’étude interne souligne un manque de compétences en interne. Le raisonnement : « On trouvera un freelance d’ici-là » ou « Les équipes vont monter en compétence en avançant ». Aucune solution n’a été identifiée, mais le projet est maintenu => croyance implicite dans une résolution future non planifiée

4. Le biais d’engagement

Plus un projet a mobilisé de temps, d’efforts ou de ressources, plus il devient difficile de l’interrompre, même quand les signaux objectifs indiquent qu’il faut le faire. Ce biais pousse à justifier la poursuite d’une trajectoire non rentable, simplement pour ne pas « perdre » ce qui a déjà été investi. Il est particulièrement actif chez les décideurs impliqués personnellement dans le lancement du projet, ou lorsqu’il y a un fort enjeu d’image.

Exemple : une direction a engagé depuis 18 mois le développement d’un outil interne. Les dépassements s’accumulent, les besoins ont évolué et une solution équivalente existe désormais sur étagère, moins chère et immédiatement opérationnelle. Pourtant, la décision est prise de « terminer ce qui a été commencé », pour ne pas « gâcher le travail déjà fait » => Le raisonnement ne porte plus sur la rentabilité future, mais sur la justification du passé.

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5. L’effet Ikea

Le cerveau a tendance à surévaluer la valeur d’un produit, d’un système ou d’une solution simplement parce qu’on y a contribué personnellement. Ce biais agit même si l’option en question est objectivement inférieure à une alternative.

Il touche particulièrement les managers ou dirigeants impliqués dans la conception d’un projet, d’une méthode ou d’un outil, car leur implication crée une forme de valeur subjective, difficile à remettre en cause.

Exemple : l’entreprise utilise un outil de reporting développé en interne il y a 18 mois. Un éditeur reconnu sort une solution SaaS plus stable, plus complète et déjà adoptée par la concurrence. Pourtant, le logiciel interne est conservé : « il répond exactement à nos besoins », « on y tient », « il est plus souple » => le fait d’avoir « construit soi-même » l’outil le rend cognitivement plus précieux, même s’il est techniquement moins bon.

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La méthode du Pre-Mortem : identifier les biais avant qu’il ne soit trop tard

Une fois le raisonnement construit, appuyé sur des données, porté par une personnalité forte et/ou défendu collectivement, il devient très difficile de le challenger sans passer pour un perturbateur ou collaborateur aigri.

Les biais cognitifs ne laissent pas de traces visibles dans le raisonnement : ils modifient le périmètre du raisonnement lui-même, dès les premières étapes d’analyse.

Pour les repérer, il ne suffit pas de « relire un dossier à tête reposée » ou de demander un « regard extérieur ». Il faut provoquer un décentrage mental actif, en posant simplement cette hypothèse qui lance un raisonnement alternatif : « Imaginons que cette décision soit un échec majeur dans six mois. Essayons d’imaginer et d‘analyser les causes. »

C’est le principe de la méthode dite du Pre-Mortem, formalisée par Gary Klein. Elle est utilisée dans les environnements où les erreurs de jugement ne se voient qu’après coup, quand il est trop tard : stratégie militaire, médecine, design de protocoles à fort enjeu, etc.

Mettre en œuvre la méthode Pre-Mortem

Juste avant de valider une décision structurante (investissement, lancement, plan de transformation, partenariat), on réunit l’équipe concernée et on cadre l’exercice : « Nous sommes six mois plus tard. Ce projet a échoué. Décrivez les raisons plausibles de cet échec. »

Chaque collaborateur travaille seul dans un premier temps pour éviter les biais d’alignement ou de conformité.

Il avance son scénario et ou les causes d’échec. Les réponses sont ensuite rassemblées et classées par grandes familles de vulnérabilité : marché défavorable, manque d’expérience, manque de ressources, etc.

Ce matériau brut devient alors la base d’une relecture de la décision :

  • Quelles hypothèses doivent être testées avant d’aller plus loin ?
  • Quels scénarios doivent être réintégrés dans le spectre de décision ?
  • Quelles conditions doivent être considérées comme bloquantes ?
  • Faut-il suspendre ou recadrer la décision de départ ?

Le Pre-Mortem n’est pas forcément une méthode « dure » au sens scientifique. C’est plutôt un cadre, un bon réflexe pour :

  • Alimenter la pensée analytique ;
  • Prendre conscience des biais cognitifs ;
  • Stimuler l’intelligence collective ;
  • Sécuriser davantage la prise de décision.

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