L’alignement entre les commerciaux et le marketing est un sujet pour la majorité des CEO et Comex des boîtes à partir d’une certaine taille ou d’un certain seuil de CA. Tout le monde a plus ou moins compris que c’est une condition pour aller chercher quelques points de croissance en plus.
Alors on unifie les outils, on organise des points hebdomadaires communs, on sensibilise… mais sur le terrain, chacun continue à jouer sa propre partition. Et si le vrai problème, c’était le modèle de rémunération ?
Mais pourquoi parle-t-on autant d’alignement depuis 2010 ?
C’est simple : parce qu’il y a 15 ans, le marketing et les ventes n’avaient presque aucun terrain commun. Le marketing faisait de la notoriété, des salons et des plaquettes. Les commerciaux allaient chercher leurs propres prospects. Chacun faisait son métier avec ses outils, ses deadlines et ses objectifs.
Puis les outils d’automatisation sont arrivés. Les sites web ont commencé à générer des leads. Le CRM est devenu central. Et surtout, le marketing digital a permis de suivre les prospects (presque) à la trace, du premier clic jusqu’à la vente. À partir de là, les rôles se sont mis à se superposer. Le marketing est monté dans le tunnel de conversion. Le commercial est descendu vers le haut du funnel. Et ça a créé des frictions… de grosses frictions !
Aujourd’hui, les deux équipes se partagent les mêmes comptes, les mêmes contacts, parfois les mêmes canaux. Mais elles continuent à raisonner en silo :
- Le marketing pense en impressions, en leads, en taux de conversion ;
- Les commerciaux raisonnent en deals, en pipe, en closing.
Résultat : vous gaspillez du budget… et vous ratez de précieux points de croissance. Concrètement, ça donne :
- des leads générés qui ne sont jamais relancés ;
- des commerciaux qui passent à côté d’opportunités faute d’information ou de contexte ;
- des actions marketing qui n’ont aucun relais, donc aucun retour ;
- des campagnes qui tournent dans le vide, ou qui produisent du bruit sans impact.
Et surtout : une croissance commerciale bridée, sans qu’on s’en rende vraiment compte. Il n’y a pas forcément de clash, pas de crise visible… juste une mécanique qui s’enraye lentement, avec des résultats toujours « pas loin du prévisionnel », mais jamais vraiment à la hauteur. La boîte tourne. Mais elle plafonne.
L’incitation financière… un levier INCONTOURNABLE pour aligner les équipes
En 2025, l’alignement Sales & Marketing est dans les petits papiers de la majorité des CEO et Comex des boîtes à partir de 50 salariés et/ou 8 à 10 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Dans ce type de boîte, l’acquisition est un poste budgétaire plus ou moins important qui mobilise des équipes, des outils SaaS, parfois des consultants, à des budgets à cinq ou six chiffres. Et en face, la force de vente n’est plus une armée de terrain extensible à l’infini. C’est une ressource rare, chère, et souvent en sous-effectif permanent. Chaque heure commerciale mal utilisée est une perte sèche.
D’où l’obsession de l’alignement : il faut que les leads générés soient traités rapidement, dans le bon ordre, avec le bon message, par la bonne personne. Et en miroir : il faut que les retours terrain soient intégrés dans les choix de ciblage, la création de contenus, le choix des canaux et, parfois, dans le produit.
Les organisations ont donc fait ce qu’elles pouvaient : on fait travailler les équipes sur les mêmes outils, on assigne des objectifs partagés, on unifie le reporting, on instaure des routines communes, etc. Certaines ont même créé un poste de « Revenue Ops » et fusionné la direction marketing et commerciale.
Mais malgré tout, ça bloque encore. Pourquoi ? Parce qu’un facteur décisif est laissé de côté : les incitations financières.
Le marketing est encore jugé sur le volume : nombre de MQL, taux de conversion, CAC, impressions. Le commercial est encore jugé sur les signatures, le pipe, le chiffre à la fin du trimestre. Et tant que les deux parties n’ont pas un intérêt commun financier et direct à mieux travailler ensemble, chacun continuera à optimiser sa partie… même quand c’est au détriment de l’autre.
De quelles incitations parle-t-on, concrètement ?
Les équipes font ce pour quoi elles sont payées. Pas ce qu’on leur demande dans un séminaire. Pas ce qu’on met sur une slide de « vision partagée ». Ce qui fait levier, c’est l’incitation financière. Et tant qu’elle reste cloisonnée, le reste ne suivra pas.
Côté marketing, on récompense généralement le volume : nombre de MQL générés, taux de conversion, réduction du CAC, KPIs des campagnes, etc. Logique, puisque ce sont les chiffres qu’on peut piloter à la source. Sauf que ce système pousse à agrandir les mailles du filet pour faire du chiffre, quitte à dégrader la qualité des leads.
Côté commercial, on récompense la fin de course : les signatures et le chiffre d’affaires. Ce qui pousse, là aussi, à faire des choix rationnels : traiter les leads les plus chauds et laisser tomber les autres, parfois sans même leur donner une chance.
Résultat : chaque équipe fait son travail de manière « optimale »… mais au détriment de la chaîne dans son ensemble.
L’incitation à l’alignement, c’est donc d’introduire un bout de l’objectif de l’autre dans les critères de rémunération. Par exemple :
- Le marketing touche une part variable sur la qualité de ses leads (taux de prise de RDV, taux de SQL accepté, voire taux de closing) ;
- Les commerciaux sont en partie évalués sur la réactivité à traiter les leads entrants (délai de prise en charge, taux de qualification) ;
- Et si l’équipe produit ou les CSM sont dans la boucle, on peut prévoir un indicateur de rétention pour ne pas générer des ventes instables.
C’est juste un principe de bon sens : tant que chacun optimise son propre score, le collectif restera bancal. Mais si les incentives forcent un minimum de co-responsabilité, alors les comportements changent. Naturellement.
Attention : l’incentive d’alignement n’est pas un sujet de fin de réunion
Ça a l’air simple sur le papier. Après tout, il suffit d’indexer une partie de la prime marketing sur les ventes signées, et une partie de la prime commerciale sur la réactivité ou la qualité de traitement des leads.
Sauf qu’en pratique, les incitations déclenchent des comportements puissants et très rationnels. Si vous touchez une prime pour faire grimper un chiffre, vous ferez grimper ce chiffre. Même si ça veut dire contourner l’esprit du système. Même si ça abîme la machine à long terme.
Prenons un exemple : une entreprise décide de lier le variable marketing au taux de closing des leads. L’intention est bonne. Mais elle oublie un point important : entre le MQL et la signature, il se passe parfois 6 mois, 7 interlocuteurs, et 25 échanges. Résultat :
- les équipes marketing n’ont plus la main sur ce qui déclenche leur prime ;
- elles deviennent dépendantes du pipeline commercial… et finissent par décrocher ;
- en miroir, les commerciaux savent qu’ils influencent la prime marketing, ce qui peut inciter à des « abus de pouvoir ».
Autre scénario : vous fixez un indicateur commun aux deux équipes. Tous les leads marketing doivent être traités sous 48h pour déclencher la prime. Sur le papier, ça crée un alignement. Mais en pratique :
- le marketing continue à générer du volume, car plus de leads = plus de chances d’atteindre le quota ;
- les commerciaux répondent rapidement et mécaniquement, juste pour respecter le timing ;
- les leads les plus prometteurs ne sont pas creusés, faute de temps… et passent à côté.
Résultat : chacun fait ce qu’on attend de lui, la règle est respectée… mais la performance business chute. Vos équipes sont bien alignées autour d’un seul objectif : bâcler !
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on ne peut pas coller deux KPIs dans une grille de prime et espérer un miracle. Chaque incentive déclenche des arbitrages personnels, des biais. Il faut anticiper, tester, ajuster, dans une logique d’ingénierie. Autrement, vous risquez de générer des effets pervers que vous ne verrez qu’à la fin du trimestre, quand le pipe sera vide et les équipes à cran.