BtoB Leaders a eu le plaisir d’échanger avec Fabrice Lezeau, dirigeant d’Interness Consulting, coach accrédité Titulaire SF Coach et auteur de « Ventes complexes : les chemins cachés de la performance ». Au menu : le déplacement de la valeur ajoutée dans la relation entre le commercial et le prospect, la « scientifisation » de la vente, le manque de rigueur intellectuelle et de soubassement théorique dans la pratique commerciale et les principales différences entre le DirCo d’aujourd’hui et celui du début des années 2000.
Sommaire
Pour commencer, pouvez-vous revenir très brièvement sur votre parcours professionnel ?
Bien sûr. J’ai une quinzaine d’années d’expérience opérationnelle, suivie de 20 ans de coaching, conseil et formation. J’ai démarré dans la vente dans un secteur quelque peu connoté, puisque j’ai vendu de gros photocopieurs pour Kodak face à Xerox dans les années 1980… une bonne école !
J’ai par la suite fait du business development sur les nouvelles technologies. J’ai managé des équipes commerciales pour ensuite basculer sur la partie RH en tant que patron de la formation commerciale pendant 5 ans. J’ai poursuivi et monté tous les programmes de formation pour les commerciaux et les chefs de vente. C’est là que j’ai commencé à avoir un rôle de conseil interne qui m’a progressivement amené sur le terrain du coaching.
Quelle a été la genèse d’Interness Consulting ?
Mon expérience dans une filiale française d’un groupe américain m’a amené à travailler avec la plupart des grands cabinets de conseil anglo-saxons pendant plusieurs années. Le point de départ de mon projet a été le suivant : faire mieux que les meilleurs. J’ai eu une vision critique mais positive de l’action de ces grands cabinets, avec deux principales pistes d’amélioration :
- Une approche réductionniste de la complexité de la vente ;
- Les pratiques manquaient de soubassement théorique.
Selon HubSpot, plus de la moitié des acheteurs B2B estiment que les commerciaux ne sont pas des partenaires de confiance. Ces mêmes acheteurs réalisent désormais 57 % du parcours d’achat en autonomie, avant de contacter un commercial. Êtes-vous d’accord avec ce constat ? Avez-vous assisté à une « cassure » entre l’Acheteur et le commercial ?
Je suis d’accord avec une partie de la formulation, mais pas avec le reste. L’environnement a effectivement changé, mais je ne parlerais pas de cassure. Je trouve que c’est un raccourci sémantique.
Il y a également un raccourci lorsque l’on parle d’ « acheteur ». S’agit-il de l’utilisateur ou du prescripteur qui se renseigne et qui a aujourd’hui accès à davantage d’informations qu’avant ? Je pense que le fait de parler d’ « acheteur » ne reflète pas la complexité du système de décision.
Ensuite, je pense qu’il y a un déplacement de la valeur ajoutée dans la relation. L’information étant accessible, c’est vrai que les commerciaux qui se contentent d’être des relais sont dépassés. L’enjeu est dans la contextualisation de cette information par rapport à des enjeux clients, notamment dans des environnements de décision élaborés, avec des options technologiques, des solutions sur mesure, etc.
Cette contextualisation ne peut naître que dans la relation et l’interaction. Le commercial retrouve ici toute sa place, notamment dans sa capacité à construire une réflexion commune avec ses clients.
Je souhaite reprendre le terme de « cassure », mais plutôt dans les représentations mentales que nous avons de la relation entre le commercial et son client. Je crois fondamentalement que les commerciaux et leur management doivent arrêter de voir les clients comme des cibles (comme le marketing a pu l’apprendre) pour les considérer plutôt comme des ressources. Les commerciaux doivent pouvoir s’appuyer sur le client et le prospect pour co-construire des solutions qui ont du sens. Cette posture permettra au commercial d’engager la conversation autrement, de penser autrement.
Le dernier baromètre Michael Page fait état d’un manque de plus de 200 000 profils commerciaux en France. On évoque une « pénurie structurelle ». Observez-vous cette difficulté à sourcer et à recruter des commerciaux (compétents) chez vos clients ?
Oui, ça fait 20 ou 30 ans que l’on entend parler de cela. C’est en effet une difficulté récurrente, qui se trouve aujourd’hui exacerbée par le besoin d’une maîtrise technique élevée de certaines offres par les commerciaux.
Culturellement, l’argent et le commerce ont toujours eu une connotation un peu négative en France. Il y a aussi l’enseignement dans les grandes écoles qui a mis les filières commerciales sur le côté, même s’il y a du mieux depuis quelques années. On manque aussi de chercheurs en la matière.
Gartner prévoit que 65 % des directions commerciales auront fini de migrer vers un modèle décisionnel 100 % basé sur la Data. Diriez-vous que la fonction commerciale est aujourd’hui en phase de « technicisation » ou de « scientifisation » ? En somme, comment positionneriez-vous le curseur entre l’intuition et le flair d’un côté, puis la Data et la science de l’autre ?
La question est intéressante. J’observe qu’à chaque fois que l’on souhaite donner un côté scientifique à la vente, nous puisons systématiquement dans la Data. En réalité, la « scientifisation » de la vente peut aussi passer par des soubassements théoriques, des théories sources, une plus grande rigueur intellectuelle sur le volet humain…
On peut par exemple regarder comment la théorie systémique peut nous aider à mieux appréhender la globalité de la relation client – fournisseur et la vente complexe. Dans un niveau plus opérationnel, pourquoi ne pas explorer comment la théorie systémique peut nous aider à influencer des systèmes de décision multi-interlocuteurs ? Les clients qui travaillent avec moi depuis plusieurs années vous le confirmeront. La théorie systémique apporte des réponses à la fois théoriques et pratiques, avec un impact direct et significatif sur la performance commerciale. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
On peut également évoquer la notion de pouvoir dans l’action collective. Je vous renvoie ici vers l’ouvrage de référence de Michel Crozier et Erhard Friedberg, « L’Acteur et le système ». Je peux enfin vous renvoyer vers mon livre, « Ventes complexes : Les chemins cachés de la performance», dans lequel je développe deux éléments décisifs :
- L’intérêt d’une réflexion intellectuelle plus rigoureuse dans la vente ;
- Le développement personnel : sa relation à l’autre, sa relation au leadership, ses peurs, sa capacité à avancer malgré les difficultés, etc.
Il y a donc des champs d’investigation dans les théories sources qui peuvent contribuer à cette scientifisation de la vente. La Data n’est pas la seule planche de salut.
Quelles sont, selon vous, les trois principales différences entre le Directeur Commercial du début des années 2000 et le DirCo d’aujourd’hui ?
Je pense que l’on attend du Directeur Commercial d’aujourd’hui qu’il anticipe plus et plus vite, dans un environnement dynamique et turbulent (technologies, mutations au niveau humain, marchés…). Il est amené à faire bouger son organisation de manière agile.
Je pense aussi qu’il est davantage attendu sur sa capacité à donner du sens à l’action de ses équipes et à mobiliser ses collaborateurs. Je parle ici du leadership, de la qualité de l’engagement, etc.
Enfin, je pense qu’il doit être capable d’apporter du soutien à ses équipes, par opposition au management normatif. Il doit être en mesure de promouvoir de nouvelles modalités d’apprentissage pour ses équipes, notamment le codéveloppement et le coaching, qui ont fait leurs preuves dans d’autres métiers.
Après vous avoir interviewé, nous aurons bientôt le plaisir de lire vos chroniques d’expert sur BtoB Leaders. Quels sont les sujets qui vous passionnent le plus ?
Sur la vente, je continue à avoir un attachement sur la thématique de la vente complexe. Je peux déjà vous annoncer que j’explore de nouveaux terrains d’expérimentation sur un plan méthodologique et théorique sur la vente complexe pour aller encore plus loin que ce que j’ai pu déjà décrire. Je devrais sans doute publier dessus en 2023 ou en 2024.
Je continue également à travailler sur le sujet qui nous anime au sein d’Interness Consulting : libérer le potentiel des équipes commerciales.
A titre plus personnel, j’ai une grande passion pour le vin, avec le plaisir d’avoir aménagé une belle cave qui sera inaugurée cette année. J’aime aussi les sports de glisse, la montagne, avec un tour du Mont Blanc l’année dernière, un tour du Queyras à venir… Profiter de la vie, de l’amitié, des autres cultures et de l’environnement, même s’il est dégradé.