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Le Full-Data Driven va-t-il imposer la « scientifisation » de la fonction commerciale dans les 10 prochaines années ?

Se dirige-t-on vers l’émergence d’un profil d’ingénieur commercial ? Le Full-Data Driven va-t-il imposer la scientifisation des Sales ? Quelle place pour le storytelling, la valeur de marque et l’engagement sociétal et environnemental dans un monde digital ? Alexandre Doukhan, Directeur du développement commercial chez Les 2 Marmottes, nous apporte son éclairage.

Bonjour Alexandre. Pouvez-vous revenir en quelques mots sur votre parcours professionnel ?

Bien sûr. J’ai démarré ma carrière dans l’audit financier, une fonction qui m’a permis de mieux appréhender les rouages du monde de l’entreprise. Je me suis ensuite dirigé vers les biens de grande consommation chez Procter & Gamble, où j’ai occupé les postes de commercial terrain et Key Account Executive. L’expérience, qui a duré six ans, a été très enrichissante sur le plan professionnel, même si je n’étais pas forcément en phase avec l’engagement sociétal et environnemental du groupe. C’est pourquoi je me suis orienté vers des entreprises avec des propositions de valeur qui correspondent à mes convictions.

J’ai donc rejoint la startup/PME Good Goût qui fait de l’alimentaire bio pour bébés et pour enfants. J’y ai officié en tant que Directeur National des Ventes et Directeur d’enseigne Leclerc. L’entreprise a été vendue. Vous vous en doutez, nous ne sommes pas sur la même dynamique lorsqu’on passe d’une PME détenue en fonds propres par son fondateur à un groupe international. C’est donc pour cette raison que j’ai intégré Les 2 Marmottes en tant que Directeur du développement commercial.

C’est une PME française de 70 salariés fondée il y a plus de 45 ans qui fabrique des infusions et des thés faits en France sans jamais d’arômes ajoutés. Le potentiel de la catégorie, de la marque, et le projet sociétal m’ont particulièrement convaincu à venir développer cette pépite.

S’il y a un élément qui n’a pas changé dans les Sales lors de la dernière décennie, c’est sans doute la pénurie des talents commerciaux. Michael Page estime qu’il manque plus de 200 000 professionnels de la vente dans l’Hexagone. Avez-vous des difficultés à recruter ?

La mission de l’entreprise devient aujourd’hui un critère extrêmement important. J’ai eu beaucoup plus de facilité à recruter dans les entreprises qui portaient des valeurs fortes. Le modèle de la World Company, qui promettait une carrière, un confort financier et des responsabilités sans aller plus loin, ne se suffit plus à lui-même. Alors bien entendu, la rémunération reste un facteur décisif, mais elle est complétée par le sens donné au travail, la mission de l’entreprise et son engagement.

Chez Les 2 Marmottes, nous n’avons pas particulièrement de difficultés à recruter des profils commerciaux. Aussi, nous avons un turnover très bas malgré une équipe commerciale assez conséquente (30 personnes). L’engagement sociétal et environnemental de l’entreprise favorisent la fidélisation. Les commerciaux sont heureux et fiers de promouvoir des produits responsables. Nos besoins en matière de recrutement sont donc limités. Je n’ai pas enrôlé de commerciaux depuis presqu’un an, par exemple. Je pense que nous avons un bouclier anti-pénurie : notre mission et la valeur de notre marque. Il faut toutefois rester très prudent : cette situation ne durera pas indéfiniment, et convaincre des candidats nécessite une remise en question régulière.

Quels sont, selon vous, les trois facteurs décisifs qui ont changé la pratique des Sales lors des 10 dernières années ?

J’ai l’impression qu’on parle de moins en moins de produit et de plus en plus de prix. Il y a moins de place à la discussion sur les habitudes de consommation, sur le contexte, sur la qualité. En dix ans, le prix s’est imposé comme sujet de discussion quasi-exclusif. Dernièrement, il y a eu un facteur qui est venu concurrencer le facteur prix chez les acheteurs : le bio. A un moment, l’argument « bio » rendait les choses un peu plus faciles sur le plan commercial. C’est malheureusement en train de changer, dans la mesure où la croissance de ce segment faiblit.

Je peux également citer l’émergence (timide) d’une attente Made in France et d’un bilan carbone favorable. Aussi, certains distributeurs pratiquent une discrimination positive vis-à-vis de la PME.

Qu’est-ce qui a changé dans les équipes Sales (profils, compétences attendues, etc.) ?

La capacité analytique est désormais attendue chez les profils commerciaux. Dans la mesure où tout est orienté « prix » et « gestion administrative », on recherche davantage de profils justifiant d’une certaine agilité analytique, peut-être au détriment du bagout commercial. La transformation digitale et l’intensité concurrentielle ont sans doute changé les compétences attendues dans les Sales. On recherche davantage un quotient intellectuel qu’un quotient émotionnel.

Il faut dire aussi qu’en face, l’attente des clients est fortement analytique, avec moins de discussions catégorielles. Cette hégémonie de l’analytique est exacerbée par le turnover de nos acheteurs. Il est en effet difficile de nouer des relations fortes lorsque le couple d’interlocuteurs change régulièrement.

Les chiffres sont une ressource incroyable. Mais si l’on pousse le raisonnement à l’extrême, on peut dire que la Data impose une décision indiscutable qui découle d’une approche quasiment scientifique. Soit on se dit que l’algorithme supplante l’Humain, soit on valorise la relation humaine, le storytelling, l’émotion et on appuie le tout avec la Data. C’est comme croire que parce que l’on a la recette d’un plat d’un restaurant 3 étoiles, on aura le même résultat en confiant la cuisine à n’importe qui. La réussite et l’émotion créées sont bien au-delà de la liste de courses et d’une recette : elles sont intimement liées à l’histoire, l’expérience du chef, sa connaissance de ses producteurs, de ses équipes… et puis du consommateur qui valorise le travail d’un artisan. C’est exactement la même histoire selon moi dans le commerce, qui n’est rien d’autre que la rencontre et l’échange entre individus autour d’une promesse.

Comment voyez-vous l’évolution des Sales dans les 10 prochaines années ?

Il y a deux mondes qui s’opposent. Tous les signaux convergent vers la scientifisation des Sales, vers la digitalisation effrénée, vers le Full Data-Driven et donc vers l’ingénieur commercial. C’est tentant, mais je suis persuadé que le commerce restera avant tout une histoire d’échange entre humains. Investir dans l’Humain sera toujours la bonne solution.

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