L’édition 2022 de l’Adobe Summit – The Digital Experience Conference s’est clôturée le 17 mars 2022. Comme à l’accoutumée, l’événement a été riche en Insights, notamment sur la thématique de la personnalisation de l’expérience client à grande échelle. Pour en discuter, j’ai eu le plaisir d’échanger avec Yann Gourvennec, pionnier de la transformation digitale.
Sommaire
Vous avez participé à la conception de l’un des premiers CRM au monde, vous avez créé votre premier site internet en 1995, vous avez été un pionnier de la WebTV en 2000… Votre expérience professionnelle se confond avec celle de la digitalisation et du web. Quels sont les trois défis que vous avez eu le plus de plaisir à relever ?
Début des années 1990 : le projet « Profit » pour Unisys
Je commencerai par le projet de Salesforce Automation, « Profit », que j’ai réalisé pour Unisys au début des années 1990. Il s’agissait à l’époque d’un système très innovant. Le projet « Profit » était d’envergure mondiale, dans la mesure où il concernait 40 pays. Il s’agissait de consolider les prévisions de vente de l’ensemble des commerciaux d’Unisys dans le monde. C’était un vrai projet d’intrapreneuriat qui a été mené à travers un consortium entre la France et le Royaume-Uni. Nous n’étions pas dans une commande du siège, mais plutôt sur un projet qui est venu du bas.
Nous avons donc spécifié le produit, nous l’avons sorti puis nous l’avons déployé dans le monde entier. C’est ainsi que nous avons créé l’un des premiers CRM avec une infrastructure centralisée. Il suffisait d’appuyer sur un bouton pour consolider le CRM dans le monde entier. À l’époque, c’était une belle prouesse, qui nous a d’ailleurs valu la visite d’un certain Tom Siebel, fondateur de Siebel Systems. Il s’était inspiré de notre CRM et des 8 autres solutions similaires qui tournaient dans le monde à cette époque.
2008 : Orange Business Services
Pour vous donner le contexte, j’étais sorti du web entre 2003 et 2007 à cause de la crise liée à la bulle internet. Je suis revenu dans le circuit fin 2007 pour prendre la direction d’Orange-business.com. La marque Orange Business Services était toute neuve, on n’en parlait pas vraiment dans les médias. À l’époque, les réseaux sociaux étaient encore naissants dans les entreprises. J’avais un blog dédié au marketing, qui a d’ailleurs contribué à mon retour aux affaires.
Chez Orange Business, on m’a tout de suite dit de ne pas toucher aux blogs et de ne pas parler technique. J’ai pris le contrepied de cette recommandation. J’estimais en effet qu’il était peu pertinent de proposer des contenus génériques à des professionnels de la tech. J’ai donc créé une WebTV, Orange Business TV, avec un chef de produit qui proposait des vidéos pédagogiques. On a mis en place des équipes techniques qui proposaient des contenus assez poussés autour de la sécurité informatique. Ces vidéos techniques ont cumulé des millions de vues. Orange Business Services a même été leader des marques françaises sur Twitter pendant 5 ans ! Cela m’a valu le plaisir d’être promu directeur d’Orange.com, le site corporate d’Orange.
2014 : Visionary Marketing devient un blog d’entreprise
En 2014, après avoir quitté Orange, j’ai transformé Visionary Marketing, le site que j’avais créé en 1995, en blog d’entreprise. Nous avons plutôt réussi, puisque nous avons travaillé avec une centaine de clients en 8 ans. Il y a un peu plus de deux ans, Visionary Marketing a reçu l’agrément CPPAP, devenant donc un site de presse.
La personnalisation a été au cœur de l’édition 2022 de l’Adobe Summit. On sait que l’acheteur B2B n’a jamais été aussi exigeant. Il attend d’office une expérience personnalisée, voire hyperpersonnalisée. Selon vous, la personnalisation de l’expérience est-elle encore un avantage concurrentiel, ou est-ce simplement une condition de compétitivité, voire de pérennité ?
La personnalisation a longtemps été un élément de différenciation. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Je cite Anil Chakravarthy, President Digital Experience Business d’Adobe : « La personnalisation n’est pas un sujet nouveau. Ce qui est nouveau, c’est l’impératif de la personnalisation à grande échelle ». Ce phénomène peut éventuellement être expliqué par le boom du e-commerce.
En France, le e-commerce représente chaque année près de 130 milliards de dollars, soit l’équivalent du chiffre d’affaires de trois grands opérateurs télécoms mondiaux. Selon Gartner (décembre 2021), le B2B drive largement le e-commerce aujourd’hui. Ce n’est pas surprenant lorsque l’on sait que le B2B représente les deux tiers de l’économie. Pour un produit B2C, il y a une myriade de produits et de services B2B en amont.
Au Royaume-Uni, le B2B représente déjà 71 % du e-commerce (étude Statista). Le e-commerce B2B se divise en deux parties : la partie web, qui représente 50 %, et l’échange automatisé électronique (EDI) qui représente l’autre moitié. Le développement du e-commerce n’est plus anecdotique. C’est un élément pivot dans l’économie. La crise, l’éloignement et le renforcement du travail à distance ont créé des usages et des habitudes qui vont perdurer au-delà de la pandémie. La personnalisation correspond donc à la maturité du marché, car le client Amazon d’aujourd’hui a des exigences en matière d’expérience client beaucoup plus élevées qu’il y a 25 ans.
Cette personnalisation dans le B2C rejaillit forcément dans le B2B, car les acheteurs sont tous des consommateurs, au quotidien. Ils ont pris l’habitude de cliquer pour consommer. Ils veulent retrouver la même facilité dans leurs achats professionnels.
Selon une étude réalisée par Accenture en 2021, 73 % des décideurs B2B notent une augmentation des attentes de leur cible en matière de personnalisation de l’expérience. Dans le même temps, les consommateurs dans le B2C et les acheteurs dans le B2B semblent de moins en moins disposés à partager leurs données… des données pourtant essentielles pour délivrer une expérience personnalisée…
Je pense que si les consommateurs et les acheteurs sont réticents à laisser leurs données, c’est parce qu’on ne sait pas leur demander. Seth Godin parlait déjà de Permission Marketing dans un livre du même nom publié en 1999. Je pense que les marketeurs ont un peu oublié ce concept en se bardant de technologies plus ou moins éthiques. Cette période est révolue sous le coup de la réglementation… mais la réglementation n’est là que pour sanctionner une évolution des comportements.
Contrairement à ce que certains croient, cette réglementation est valable pour le B2C et le B2B. Ce n’est pas parce qu’on est dans le B2B qu’on a le droit de spammer pour prospecter. La prospection doit être faite de manière polie, déférente et respectueuse, même si le RGPD n’a pas changé la règle de l’opt-out dans la prospection B2B. Mais au-delà de l’éthique, la prospection intrusive est d’une inefficacité totale. La méthode est tellement maladroite qu’elle peut vous valoir un refus même si votre interlocuteur est intéressé par votre offre.
Je pense que nous avons besoin de redécouvrir ce concept de Permission Marketing de Seth Godin. Les commerciaux doivent apporter de la valeur pour retrouver la confiance des acheteurs et retrouver leur place dans le parcours d’achat.
Il a également été question de First-Party Data dans cette édition de l’Adobe Summit, dans un contexte de disparition progressive des cookies tiers…
En effet. Adobe a toujours mis en avant les stratégies autour de la First-Party Data. Plutôt que d’acheter des bases de données que l’on n’utilisera peu ou pas du tout, il vaut peut-être mieux capitaliser sur la donnée détenue par l’entreprise et l’utiliser dans les règles de l’art en levant par exemple les silos entre les différents services et en améliorant l’expérience client.
Je vous donne ici des chiffres communiqués par Camille Jourdain dans l’Adobe Summit : 80 % des entreprises pensent qu’elles offrent une bonne expérience client… alors que seuls 8 % des clients pensent la même chose. Ces chiffres concernent le B2C, mais c’est probablement aussi vrai dans le B2B.
Adobe Summit : la récap de Visionary Marketing
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter la récap de l’Adobe Summit 2022 avec la participation de Yann Gourvennec, Grégoire Pauty et Fabrice Frossard.