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Le marketing doit désormais assumer son rôle de Cultural Broker

À l’occasion des 10 ans du BtoB Summit, BtoB Leaders a eu le plaisir d’interviewer Aurélien Gohier, Responsable digital Europe de l’Ouest chez Dassault Systèmes et fondateur de la newsletter et podcast #Industry4Good. Cet expert du marketing industriel revient avec beaucoup de lucidité sur la décennie 2010 du CMO et de la pratique marketing dans le B2B et nous livre ses insights sur les prochains défis à relever.

Bonjour Aurélien. Pour commencer, pouvez-vous revenir sur votre parcours professionnel en quelques mots ?

Je suis tombé dans le B2B en 2009, avec un fil rouge : j’ai toujours travaillé dans les sciences computationnelles pour des éditeurs qui ont la particularité de servir les industriels.

J’ai d’abord évolué dans le monde du logiciel pour le secteur de la construction, avant d’enchaîner avec l’univers de la réalité virtuelle où j’ai notamment été en charge de l’intégration du marketing de l’entreprise allemande IC.IDO qui avait été rachetée par ESI Group, boîte française de prototypage spécialisée dans la physique des matériaux (1 200 salariés). J’ai créé le service digital chez ESI Group en partant quasiment d’une feuille blanche.

Ma rencontre avec l’univers Dassault Systèmes a eu lieu en 2017. J’y occupe aujourd’hui le poste de Responsable digital Europe de l’Ouest.

Vous avez lancé un certain nombre de projets autour de l’industrie. Pouvez-vous nous en parler ?

En 2015, j’ai développé une activité de « CMO On Demand » pour deux raisons. D’abord, les TPE/PME industrielles n’ont pas forcément les ressources pour enrôler des CMO. Ces structures pouvaient également avoir des difficultés à attirer ces profils, à fortiori lorsque l’on sait que leurs sites sont souvent excentrés, à plus d’une heure de Paris. À l’époque, il n’y avait pas cet engouement pour le nouvel exode rural qui a émergé avec la pandémie. Je suivais jusqu’à six entreprises dans l’année en parallèle de mon travail.

Cette activité m’a permis de donner des conférences autour des thématiques de l’attractivité des marques dans le B2B. L’idée était d’amener la pop culture et les codes du web moderne dans l’univers plus corporate du B2B… un univers que je trouvais passionnant et instructif sur les plans humain, technologique, technique et scientifique mais dont la cosmétique pouvait parfois sembler austère. J’ai essayé d’apporter cette approche à Dassault Systèmes à mon petit niveau.

Ayant une grande appétence pour l’audiovisuel, j’ai créé un podcast en 2016 sur le marketing B2B où j’interviewais des auteurs principalement américains, dans la mesure où ils ont souvent une longueur d’avance sur ce qui se fait en Europe. J’ai enfin lancé une newsletter et un podcast intitulés Industry4Good pour apporter « un regard candide sur l’industrie ». J’ai d’ailleurs eu l’opportunité d’interviewer Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie et des Finances, dans le 4e épisode du podcast sur la thématique de l’investissement dans les startups industrielles. J’ai également eu la chance d’échanger avec des personnalités incroyables comme Anaïs Voy-Gillis ou encore Luc Julia.

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Quelle est selon vous la différence majeure entre le CMO du début des années 2010 et le CMO d’aujourd’hui ?

Ma réponse ne sera probablement pas originale mais je pense sincèrement que le numérique a tout changé, que ce soit sur la partie process ou sur la communication.

#1 Pouvoir (enfin) mesurer le ROI des actions marketing

J’ai fait partie de ceux qui ont implémenté les premiers Cloud CRM il y a plus de 10 ans. On y a mis beaucoup d’énergie pour une raison simple : on allait enfin être capable de déterminer le ROI des actions marketing. Avec ces outils, on entrevoyait enfin la possibilité de démontrer aux Comex que le marketing faisait bien plus que des kakémonos, de l’événementiel et quelques contenus sporadiques.

#2 La nouvelle génération de CMO

Nous sommes passés d’un marketing qui envoyait des emails à un marketing qui touchait une audience inespérée sur les réseaux sociaux. La digitalisation a bousculé les équipes dans la mesure où elle a impacté la typologie des profils recrutés et la palette des compétences attendues. Il y a une dizaine d’années, dans mon secteur, les CMO et les CCO du B2B étaient souvent d’anciens ingénieurs. Est ensuite arrivée une seconde vague de CMO qui n’étaient pas Digital Natives à proprement parler mais qui avaient plus de facilités avec le digital.

#3 L’éternel défi de l’alignement Sales – Marketing

Le digital est un moyen, pas une solution miracle. L’alignement Sales – Marketing dans le B2B reste encore aujourd’hui un défi majeur. On s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de recette magique. Il ne suffit pas d’implémenter un CRM performant et de mettre en place des KPIs communs pour la vente et le marketing dans l’optique de casser les silos. Ce raisonnement est anti-anthropologique. Je pense que ce défi est d’abord humain et managérial.

#4 Les modèles économiques vertueux et la centricité client

J’évoquerais également le bouleversement du style managérial qui migre vers la transversalité et le participatif. Je pense que les entreprises qui gagneront la guerre des talents sont celles qui se seront transformées avec des modèles économiques vertueux, pérennes, responsables et qui joueront le jeu de la flexibilité au travail. Je pense enfin que le B2B n’a pas réussi sa transformation vers la centricité client (ni le B2C d’ailleurs…), un sujet qui restera donc à l’ordre du jour dans les dix prochaines années à minima.

BtoB Summit 2022

Une étude HubSpot explique que plus de la moitié des acheteurs B2B ne considèrent pas les commerciaux comme des partenaires de confiance, ce qui les pousse à faire du self-service et à réaliser une grande partie du parcours avant de contacter un prestataire. Diriez-vous que les commerciaux ont perdu leur place dans le parcours d’achat lors de la dernière décennie ?

J’ai toujours évolué dans des secteurs de niche avec des offres complexes et des volumes d’affaires moyens très élevés. Sur ce type d’activité, je pense que les commerciaux n’ont aucun souci à se faire. Ils apportent de l’empathie, de l’analyse et de l’expertise.

Pour élargir un peu le sujet, je pense que les commerciaux ne sont incentivés que sur le ROI financier court ou moyen terme. Tant qu’on restera sur ce paradigme, le commercial sera cantonné à cette image de machine à convertir. En même temps, comment pouvons-nous demander à un commercial d’être un conseiller de confiance lorsque ses structures de bonus sont presqu’exclusivement liées à la vente ? Je pense que l’ère du commercial qui ne fait que vendre va rapidement disparaître.

Sur le volet marketing, le B2B a passé un temps fou à faire de la génération de leads et du Growth Hacking au détriment de la marque employeur et du branding. J’ai l’impression que cette tendance est en train de s’inverser. Le B2B essaie de redevenir cool… sauf qu’on ne redevient pas cool. On l’est ou on ne l’est pas. Le marketing est attendu sur un rôle de transformateur ou de Cultural Broker, pour reprendre la terminologie de Jezewski. Il va devoir transmettre sa connaissance sur les modèles responsables, la sémantique utilisée, l’expérience client, etc.

Comment voyez-vous l’évolution du poste de CMO dans la décennie à venir ?

Aujourd’hui, la dichotomie entre les fonctions marketing et communication débouche sur des communications externes matricielles, complexes et avec des niveaux de discours différents. La communication corporate fait « du beau » et de la marque employeur avec des budgets conséquents et sans contraintes réelles de ROI, tandis que le marketing local doit souvent se contenter d’un budget plus réduit pour faire de la LeadGen . Je pense que c’est une erreur critique.

Les décideurs B2B peuvent recevoir une communication léchée de la part d’une entreprise, puis un emailing LeadGen de piètre qualité de la même structure. Le communicant a une meilleure culture artistique et visuelle, une maîtrise du concept-même de marque. De son côté, le marketeur est plus orienté terrain, avec une culture business et programmatique plus poussée. Je pense donc qu’on se dirige vers la fusion entre le marketeur et le communicant. Le fait que ces deux fonctions soient différenciées est un non-sens. C’est la seule solution pour éviter d’avoir une entreprise à plusieurs vitesses.

Les entreprises sont également appelées à faire preuve de plus de responsabilité dans leur communication, notamment vis-à-vis de l’environnement. La devise « less is more » va sans doute prévaloir. Je pense qu’on ne pourra plus laisser des contenus végéter en ligne pendant des années, ni continuer à envoyer des emailings à des contacts qui n’ont pas interagi avec l’entreprise sur une très longue durée. L’ère du contenu devra engager sa transition environnementale.

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